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Que se cache-t-il derrière le scandale financier impliquant le premier ministre canadien Chrétien?

par Keith Jones
10 avril 2001

Depuis la dernière élection fédérale, en novembre dernier, les débats au Parlement canadien furent entraînés dans le tourbillon des accusations portant sur les affaires du premier ministre.

Le parti formant l'opposition officielle, l'Alliance canadienne (AC), ainsi que le Parti conservateur (PC), le Bloc québécois (BQ), et dans une moindre mesure le Nouveau parti démocratique (NPD) ont fait cause commune pour questionner et mettre en doute l'intégrité et l'honnêteté du premier ministre Jean Chrétien. Plus précisément, l'opposition parlementaire l'accuse de s'être trouver en conflit d'intérêt lorsque par trois fois en 1996-97 il a fait pression sur un dirigeant d'une compagnie de la Couronne (une société appartenant au gouvernement) pour qu'elle accorde un prêt à l'Auberge Grand Mère, un hôtel dans son compté de Shawinigan.

L'auberge est voisine d'un terrain de golf dont Chrétien avait déjà été copropriétaire. Peu avant de prêter serment en tant que premier ministre en 1993, Chrétien avait vendu les vingt-cinq pour cent qu'il détenait dans le terrain de golf à un homme d'affaires torontois, Jonas Prince, mais la vente se passa mal. Ce n'est qu'en 1999 que Chrétien fut payé pour ses parts dans le terrain de golf, et cela seulement après que son avocat ait aidé Prince en trouvant une troisième partie pour lui acheter ses parts. En contribuant à la bonne fortune de l'hôtel, Chrétien voulait défendre ses intérêts, en tout cas c'est ce clame l'opposition, puisque la valeur et la viabilité commerciale de l'Auberge Grand Mère se répercute assurément sur la valeur du terrain de golf, y compris la valeur de la part de Chrétien dont la vente n'était pas complètée.

La semaine dernière, le dirigeant de l'AC, Stockwell Day, a proposé une motion au Parlement qui demandait que soit instituée une enquête publique sur l'ensemble des événements que la presse a baptisé Shawinigate. Quelques jours auparavant, le dirigeant conservateur et ex-premier ministre, Joe Clark, avait demandé que Chrétien prenne congé de ses fonctions de premier ministre jusqu'à ce qu'une enquête l'ait blanchi de toute présomption de conflit d'intérêts. Comme il se doit, la majorité dont bénéficient les libéraux à la Chambre des communes a rejeté à l'unanimité la motion de l'opposition.

Néanmoins, le gouvernement libéral fut ébranlé par les attaques de l'opposition et, plus fondamentalement, par la couverture de presse mur à mur qu'ont donné les grands médias au Shawinigate, surtout par les deux quotidiens nationaux, le Globe and Mail et le National Post. Plusieurs journaux ont repris à leur compte l'appel pour une enquête publique. Certains sont allés plus loin, soutenant que peu importait les résultats d'une future enquête sur le Shawinigate, son manque de franchise sur ses affaires montrait combien il était devenu arrogant et qu'il fallait qu'il prenne sa retraite.

Voulant laisser moins de prise aux critiques de l'opposition et de la presse, Chrétien a présenté à la fin du mois passé plusieurs documents relatifs à la vente de ses parts dans le terrain de golf. Cela a représenté un changement de cap important, puisqu'auparavant Chrétien avait insisté qu'il ne pouvait le faire car cela violerait le droit à la vie privée de ses anciens partenaires d'affaires.

Mauvaises comparaisons avec Nixon et Milosevic

Si l'on devait se limiter aux déclarations de l'opposition et aux articles écrits par ses partisans au sein des médias de masse, alors il serait facile de conclure qu'elle a en sa possession de fortes preuves, peut-être même irréfutables, que le premier ministre a transgressé la loi.

Le nom même de Shawinigate évoque le scandale américain du Watergate où des adjoints de Richard Nixon avait donné leur approbation à des crimes qui avaient pour but de détourner le processus électoral, et que le président lui-même avait conspiré pour faire obstruction à la justice.

Les accusations contre Chrétien sont entrées dans une nouvelle phase la semaine dernière lorsque Diane Ablonczy, une députée de l'AC et membre du cabinet fantôme, a plusieurs fois comparé l'éthique et les gestes de Chrétien à ceux du dictateur de l'ancienne Yougoslavie, Milan Milosevic, une comparaison qui fut plus tard endossée par le dirigeant du parti, Stockwell Day. « A-t-elle dépassé les bornes? Non. Je crois que le premier ministre a dépassé les bornes ... »

Les effets de rhétorique en moins, il y a plusieurs semaines déjà l'opposition avait dû abandonné ses accusations, et même ses suggestions, d'actes criminels après que la Gendarmerie royale du Canada ait mené une enquête à la demande de Joe Clark sur l'affaire du terrain de golf et de l'auberge et soit arrivée à la conclusion qu'il n'y avait pas matière à enquête policière.

Ce revers n'avait toutefois pas incité l'opposition parlementaire et ses partisans au sein de la presse à ralentir leur campagne. Plutôt, ils ont proclamé que les véritables questions en jeu n'était de savoir si Chrétien avait brisé la loi, mais si s'était trouvé en situation de confit d'intérêts.

Le flou qui entoure le concept de «conflit d'intérêts» en fait une arme pratique pour lier une série de faits et d'incidents qui peuvent être assez éloignés les uns des autres en une accusation générale de mauvaise conduite de la part du premier ministre avec en prime un relent de corruption.

Différente du vol, de la corruption et du graissage de patte, la notion qu'un politicien ne devrait pas participer à une prise de décision par le gouvernement qui pourrait lui profiter directement et personnellement est frappée d'innombrables et finalement d'insolubles contradictions. Lorsque le ministre des Finances, le multimillionnaire Paul Martin, diminue les impôts au profit des riches, peut-on dire qu'il est en conflit d'intérêts? Au Canada, comme dans toutes les démocraties capitalistes, le «succès» d'un politicien, sans faire mention des possibles développements que pourrait connaître sa carrière, est lié à sa capacité à se gagner un appui dans la classe dirigeante, c'est-à-dire du grand capital et des médias de masse.

Nous n'affirmons pas ici que Chrétien est exempt de tout blâme dans cette affaire, même si l'on voulait faire abstraction de la poursuite entreprise par l'ancien dirigeant de la Banque de développement du Canada qui accuse le premier ministre de l'avoir écarté de son emploi parce qu'il n'avait pas accordé de prêt à l'Auberge Grand Mère.

Bien que le «conseiller en éthique» du gouvernement, nommé par Chrétien lui-même, n'ait pas trouvé que le premier ministre ait contrevenu aux normes en ce qui a trait aux conflits d'intérêts, il a par contre ajouté qu'il faut des règles plus strictes sur les rapports qu'un ministre peut entreprendre avec une compagnie de la Couronne.

Peu importe de quel bout on prend l'affaire, Chrétien était à tout le moins anxieux que l'auberge reçoive le soutien financier dont elle avait besoin pour qu'elle puisse redevenir profitable. Il n'en découle toutefois pas que de recevoir enfin l'argent de la vente de ses parts dans le terrain de golf était sa principale préoccupation dans cette affaire.

Comme le premier ministre s'en ait lui-même vanté, il est un homme riche. En fait, Chrétien est supposément plusieurs fois millionnaire. De plus, son gendre est un haut dirigeant de Power Corporation, et en tant que fils de Desmarais, un des héritiers d'une de plus grandes fortunes canadiennes.

Lawrence Martin, l'auteur de la biographie de Chrétien et un des ses critiques les plus féroces du Shawinigate, a suggéré que le calcul politique pourrait bien expliquer les fortes pressions du premier ministre sur la Banque de développement pour qu'elle aide l'auberge. Il n'y a aucun doute que Chrétien fut choqué par les résultats du référendum de 1995 que les forces indépendantistes avaient perdu par 50 000 voix seulement. Dans les mois qui suivirent, les séparatistes avaient annoncé leur intention de porter une attention particulière à Chrétien lors des prochaines élections fédérales, nommant un ancien ministre du Parti québécois bien connu dans sa circonscription pour l'affronter dans le compté de Shawinigan. En récompensant ses amis et ses alliés (le propriétaire de l'Auberge Grand Mère est un partisan libéral de longue date) et en favorisant la création d'emploi dans la région appauvrie de Shawinigan, Chrétien cherchait à répondre à l'opposition qu'il rencontrait dans son compté.

Ce qui est vraiment en jeu dans le Shawinigate

Bien qu'on ne puisse dire que le scandale de l'Auberge Grand Mère soit le pur produit de l'imagination, ce n'est sûrement pas l'édition du vingt et unième siècle de scandale du Pacifique, l'affaire de pots-de-vin qui fit tomber le premier gouvernement de la Confédération.

Étant donné la relative minceur des faits du Shawinigate, on peut se demander pourquoi ce scandale a-t-il autant de souffle?

Pour répondre à cette question, il faudra prendre en considération les origines des allégations contre Chrétien et ensuite le profond mécontentement de la grande entreprise, ou au moins d'une bonne partie de celle-là, devant le résultat des élections de novembre 2000.

Ce fut le National Post qui le premier fit mention de l'histoire de l'auberge il y a environ deux années pour ensuite lui gardé dans les grands titres. Fondé par le baron de la presse et l'idéologue de droite Conrad Black, le National Post a joué un rôle clé pour transformer le Parti réformiste en l'Alliance canadienne et a pratiquement déclaré publiquement que sa mission était de faire tomber les libéraux de Chrétien. Plus d'une fois, du Shawinigate aux déclarations que les libéraux étaient mous sur la question du terrorisme parce que Paul Martin avait assisté à une réception officielle organisée par une organisation de réfugiés tamouls, l'AC n'a fait qu'emprunter la voie ouverte par le National Post.

Au cours de la dernière campagne électorale de novembre, lorsqu'il est devenu évident que les libéraux se dirigeaient vers leur troisième gouvernement libéral majoritaire consécutif, l'Alliance et les conservateurs se sont jetés sur le Shawinigate. M6eme si leur campagne pour entacher la réputation du premier ministre a eu bien peu d'impact sur les électeurs, les alliancistes et les conservateurs ont encore plus mis l'accent sur cette affaire dans la période postélectorale.

Cette fixation est due à plusieurs facteurs tous liés entre eux. L'Alliance a été piquée par l'opposition populaire à son programme de droite. La grande entreprise, bien que satisfaite de voir que les libéraux avaient fait leur le programme de diminutions d'impôts de l'AC, continuait à s'inquiéter que les libéraux et particulièrement Chrétien était trop associé aux politiques de l'État providence de l'après-guerre. Dans les médias du monde des affaires, on peut lire que Bay Street, c'est-à-dire les banques et les autres institutions financières canadiennes, veut que Chrétien soit remplacé par le ministre des Finances Paul Martin.

De plus, les développements aux États-Unis ont accru à la fois la crainte et l'appétit de cette fraction de la grande entreprise qui fait pression pour que l'on mène un assaut plus systématique contre les acquis de la classe ouvrière. Le Canada subit de plus en plus les pressions d'un ralentissement économique aux États-Unis, et on commence à entendre les plaintes que les diminutions d'impôts de Bush vont avoir pour effet de rendre celles des libéraux désuètes avant même qu'elles prennent effet.

Finalement mais non le moindre, il y a l'exemple de la campagne continuelle de huit ans par le Parti républicain aux États-Unis pour déstabiliser et faire tomber l'administration Clinton, qui a culminé avec le vol des élections présidentielles de l'an 2000.

L'AC et plusieurs de ses partisans, y compris Conrad Black et son National Post, ont des liens étroits avec la droite du Parti républicain et considère clairement que le Shawinigate est un moyen de monter une telle campagne de déstabilisation politique au Canada.

Reconnaissant que l'appui de la population pour ses politiques est très limité, la droite se tourne vers les campagnes de salissage pour dénigrer ses adversaires et détourner l'attention des véritables sujets de préoccupation sociaux et économiques de la majorité.

De telles campagnes peuvent pouvoir frapper plus large que désirer. Le Shawinigate était au début une campagne de l'Alliance et du National Post, mais fut de plus en plus repris par les conservateurs et le Globe and Mail. En se concentrant sur le Shawinigate, ce qui eut pour effet d'amener à l'avant-scène la question de l'intégrité des dirigeants, les conservateurs et le Globe n'ont pas simplement pour but de faire pression sur le gouvernement libéral pour qu'il aille plus à droite, mais aussi d'attirer l'attention sur les faiblesses du fondamentaliste chrétien
Day comme alternative au premier ministre. Ainsi la fin de semaine passée, le Globe avait en première un article portant sur l'implication de Day dans l'embauchage d'un agent secret, qui a eu affaire avec la justice et est proche des bandes de motards criminalisées, pour chercher matière à scandale chez Chrétien.

Les travailleurs ont de bonnes raisons de s'opposer au gouvernement libéral de Chrétien. Il a exploité la crainte de la population envers le programme de droite de l'Alliance pour imposer un programme qui favorise la grande entreprise, incluant des compressions de services publics et sociaux et un remaniement du régime fiscal qui a permis aux biens nantis de s'approprier une part encore plus grande du revenu national. Mais la classe ouvrière doit s'opposer au gouvernement Chrétien en se constituant elle-même comme une force politique indépendante et au moyen de ses propres moyens de lutte.


 

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