Les puissances
occidentales et le Timor oriental: une longue histoire
de manoeuvres et d'intrigues
de Nick Beams 1 octobre 1999
L'histoire contredit toute prétention de présenter l'intervention
militaire de l'ONU au Timor oriental menée sous la direction de l'Australie
comme étant le résultat de considérations "humanitaires".
La tragédie qui frappe le peuple du Timor oriental est le résultat
d'intrigues et de manoeuvres qui se sont étendues sur des décennies
par les puissances impérialistes mêmes qui se présentent
comme son sauveur maintenant. Parce qu'assez peu de cette histoire est généralement
connue, il vaut la peine de consacrer un peu de temps à la revoir
avec plus de détails.
Dans le but de stabiliser les régimes répressifs de la
région après la défaite du Vietnam, les États-Unis
ont soutenu l'invasion du Timor oriental par l'Indonésie en 1975,
et le plan de "pacification" qui l'a suivie, opération
qui est responsable de la mort de 200 000 Timorais orientaux.
Quelques sections de l'élite indonésienne n'étaient
pas opposées à ce que le Timor oriental devienne indépendant.
Elles acceptaient les assurances données par le dirigeant du Fretilin
(Front révolutionnaire pour l'indépendance de Timor oriental),
Jose Ramos-Horta, que le Timor oriental sous contrôle Fretilin serait
bien disposé envers l'Indonésie. Mais la perspective d'un
Timor oriental indépendant était inacceptable pour les sections
dominantes des militaires indonésiens. Ces dernières ont exigé
que le Fretilin "communiste" soit écrasé et que
le Timor oriental soit intégré à l'Indonésie,
de peur que l'établissement d'un État indépendant ne
fasse renaître les luttes contre les militaires ou encourage le développement
de mouvements séparatistes dans d'autres îles de l'archipel.
Washington a renforcé la vision des militaires. Le président
Gerald Ford et le secrétaire d'État Henry Kissinger, lors
de leur visite à Djakarta du 6 décembre 1975, escale obligée
d'une tournée sud-asiatique qui avait pour but de consolider les
positions américaines amochées par la défaite au Vietnam
en mai de la même année, avaient donné le feu vert à
l'invasion, qui fut lancée dès le lendemain. Le contenu des
discussions de Ford et Kissinger n'est toujours pas connu, mais personne
ne doute que les États-Unis aient insisté pour que l'invasion
du Timor oriental aille de l'avant.
Selon le compte-rendu des événements que Philip Lietchy,
l'officier de bureau de la CIA d'alors a donné au journaliste australien,
John Pilger, "[Ford et Kissinger] sont venus et ont donné le
feu vert à Suharto. L'invasion a été retardée
de deux jours pour leur laisser le temps de foutre le camp. Nous avons reçu
l'ordre de fournir aux Indonésiens tout ce qu'ils demanderaient,
et les armes américaines ont été expédiées
au Timor oriental sans que le Congrès ne le sache. J'ai tout vu de
mes yeux vus, c'était un champ de tir ouvert et tout ça parce
que nous ne voulions pas d'un petit pays neutre ou gauchiste aux Nations
Unies."
D'autres témoignages qui furent donnés au Congrès
américain ont révélé que 90% des armes utilisées
par l'armée indonésienne lors de l'invasion avait été
fournies par les États-Unis.
En janvier 1976, un représentant du département d'État
des États-Unis a dit au journal Australian "qu'en termes
de relations bilatérales entre les États-Unis et l'Indonésie,
nous regardions plus ou moins ailleurs lors de l'incursion au Timor oriental
Les États-Unis voulaient garder des relations proches et amicales
avec l'Indonésie. Nous considérons l'Indonésie comme
une nation non alignée et amie, comme une nation avec laquelle nous
brassons beaucoup d'affaires."
Le gouvernement travailliste en Australie partageait les préoccupations
des États-Unis sur le besoin de maintenir la "stabilité"
dans la région après le coup porté par la défaite
au Vietnam. Lors de réunions avec Suharto en 1974 et 1975, le premier
ministre Gough Whitlam a offert l'appui de l'Australie pour l'incorporation
du Timor oriental à l'Indonésie.
En plus d'inquiétudes géopolitiques plus générales,
le gouvernement australien avait des intérêts économiques
particuliers en jeu: la découverte et l'exploitation de gisements
de pétrole, une question qui prend une importance cruciale dans la
période suivant la multiplication par quatre des prix mondiaux par
l'OPEC en 1973-1974.
Dès 1972, l'Australie s'entendait avec l'Indonésie pour
la recherche du pétrole dans le sous-sol marin. Mais l'entente comportait
une brèche à cause de la juridiction du Portugal sur le Timor
oriental. Des négociations furent entreprises avec le Portugal pour
trouver un terrain d'entente, mais elles échouèrent en 1974.
Au début de 1975, il était clair pour tous que l'Indonésie
se préparait à envahir le Timor oriental, celle-là
ayant adopté un plan d'annexion en octobre de l'année précédente.
En février, les militaires indonésiens organisaient une simulation
de l'invasion du Timor oriental à Lampung au sud de l'île de
Sumatra.
Au même moment où les préparatifs prenaient place,
le gouvernement australien reconnaissait que l'incorporation du Timor oriental
à l'Indonésie pourrait lui procurer d'importants avantages.
C'est ce qu'explique l'ambassadeur australien en Indonésie, Richard
Woolcott, dans un télégramme qu'il fit parvenir à Canberra,
la capitale australienne.
"Nous sommes tous conscients, a-t-il écrit, des intérêts
militaires de l'Australie dans l'affaire du Timor portugais, mais je me
demande si le Département [de la défense] a pris en compte
les intérêts du Département des mines et de l'énergie
dans la situation au Timor. Il me semble que ce Département pourrait
avoir un intérêt à fermer la brèche dans l'entente
actuelle sur les frontières maritimes et cela serait plus facilement
négocié avec l'Indonésie qu'avec le Portugal ou un
Timor portugais indépendant. Je sais que ce que je recommande ici
est plus basé sur le pragmatisme que sur les principes, mais l'intérêt
national et la politique étrangère ne sont rien d'autre que
cela."
En 1976, en harmonie avec les préceptes développés
par son ambassadeur, le successeur du premier ministre australien Whitlam,
Malcolm Fraser, a offert de reconnaître de facto la domination
de l'Indonésie sur le Timor oriental, alors que les forces pro-indépendantistes
contrôlaient environ 75% du territoire. En janvier 1978, l'Australie
a reconnu légalement l'incorporation du Timor oriental à l'Indonésie
en tant que 27ème province dans le but de rencontrer les conditions
posées par l'Indonésie pour commencer à négocier
le traité de la fosse du Timor sur l'exploitation des réserves
de pétroles.
Le pétrole de la Mer du Timor
Après s'être retiré du territoire en 1975, la précédente
puissance coloniale, le Portugal, a accepté que l'Indonésie
en prenne le contrôle. Mais le Portugal a mis le pied dans la porte
en présentant une série de résolutions aux Nations
Unies dans les années 80, ce qui a mené à ce que l'ONU
s'oppose à la prise de pouvoir indonésien et reconnaisse le
Timor oriental comme un "territoire sans gouvernement propre",
avec le Portugal désigné comme sa "puissance administratrice".
Dans le cadre de la guerre froide, le régime militaire de Suharto
était appuyé parce qu'il était un bastion contre le
communisme et les masses indonésiennes et toutes ces résolutions
sont restées lettres mortes.
Le traité de la fosse du Timor a été signé
en décembre 1989, à bord d'un avion protocolaire de la Force
aérienne australienne survolant la Mer du Timor par les ministres
des affaires étrangères de l'Australie et de l'Indonésie.
Mais dès la signature, les conditions économiques et politiques
commençaient à changer.
Au début des années 90, l'intérêt du Portugal
pour la région était ravivé par la découverte
de réserves pétrolières qu'on estima alors atteindre
une valeur comprise entre 11 et 19 milliards de dollars. Membre de l'Union
européenne depuis 1986, le Portugal était maintenant en meilleure
position pour atteindre ses objectifs. En 1991, il lançait des procédures
contre l'Australie à la Cour internationale de La Haye, en accusant
le traité de la fosse du Timor d'être illégal, de nuire
aux intérêts du Portugal et du peuple du Timor oriental, et
de nier le droit à l'autodétermination du peuple du Timor
oriental.
Dénonçant le rôle de l'Australie, le Portugal déclara:
"Ses visées sur le pétrole du Timor oriental ont primé
sur le reste seule cette avidité peut réussir à expliquer
la reconnaissance de jure d'une annexion par la force qui a coûté
plus de 100 000 vies."
Il va sans dire que c'est l'avidité pour le même pétrole
qui explique le regain d'intérêt du Portugal pour le Timor
oriental. Pour arracher le contrôle du territoire à l'Indonésie,
le Portugal se fait le défenseur du droit à l'autodétermination
du Timor oriental, bien qu'il l'ait nié pendant plus de 400 ans en
tant que puissance colonisatrice.
En juin 1995, la Cour internationale a rendu sa décision sur la
recevabilité de la demande du Portugal, déclarant qu'elle
ne pouvait rendre de jugement sur la légalité de l'annexion
par l'Indonésie parce que celle-ci ne reconnaissait pas son autorité.
Le verdict a été accueilli comme une victoire par le ministre
des affaires extérieures d'alors, Gareth Evans, qui déclara
que l'Australie pourrait avoir accès au pétrole de la Mer
du Timor sans interférence du Portugal.
Toutefois, dans son jugement, la cour reconnaissait que "l'assertion
du Portugal, à savoir que le droit à l'autodétermination
des peuples tel qu'il a évolué de la charte et la pratique
des Nations Unies ont un caractère erga omnes [un droit qui
peut être revendiqué face à n'importe puissance] était
irréprochable" et que "le principe de l'autodétermination
était un des principes essentiels de la loi internationale contemporaine."
Avec ce jugement, le Timor oriental était toujours un "territoire
sans gouvernement propre" mais dont le peuple a le droit à l'autodétermination.
Devant le réveil des appétits portugais, l'Indonésie
et l'Australie tiraient tous deux un avantage du resserrement de leurs liens.
De plus, les réserves de pétrole du sous-sol de la Mer du
Timor n'étaient pas la seule raison pour l'Australie d'appuyer Suharto.
Il faisait contrepoids aux efforts du premier ministre malais, Mahathir,
de garder l'Australie en dehors des affaires est-asiatiques, elle qui voulait
tant accéder aux marchés qui grandissaient rapidement au nord.
En novembre 1994, le ministre des affaires extérieures, Evans,
a dit lors d'une conférence sur l'Indonésie que les relations
qu'entretenait l'Australie avec l'Indonésie ne devaient pas être
subordonnées à la question des droits humains. "Il est
clair que dans la sphère économique, nous avons déjà
une base importante sur laquelle il est possible de bâtir. Les échanges
commerciaux croissent rapidement, le commerce dans les deux sens a atteint
3 milliards de dollars australiens l'an passé, ce qui est presque
trois fois plus que le niveau d'il y a cinq ans." Les compagnies australiennes
ont fait en Indonésie des investissements très rentables (estimés
à plus de 10 milliards au début des années 90), particulièrement
dans le domaine minier, souvent en partenariat avec des associés
du régime Suharto.
Les efforts du gouvernement travailliste pour renforcer ses liens avec
l'Indonésie ont culminé en décembre 1995 avec la signature
d'un traité militaire. Laissant le parlement et le public dans le
noir durant les négociations, n'informant pas même les États-Unis,
le premier ministre Keating a accueilli le traité en louangeant l'établissement
du régime de "l'Ordre Nouveau" de Suharto en 1965, un événement
qui s'est soldé par la mort de cinq cent mille à un million
de travailleurs, paysans et membres du Parti communiste, comme étant
"un des plus importants et avantageux événements de l'histoire
stratégique de l'Australie" pour assurer la "stabilité
régionale".
De nouvelles conditions internationales
Mais, encore une fois, la situation internationale évolue. Avec
la fin de la guerre froide, les États-Unis ont conclu que le régime
Suharto ne servait plus ses intérêts aussi bien que par le
passé. En particulier, le fait que l'économie indonésienne
soit soumise aux intérêts de la famille Suharto et à
ceux des militaires, le phénomène du soi-disant capitalisme
de copinage, entrait de plus en plus en contradiction avec les activités
des compagnies américaines.
La crise asiatique de 1997 a donné aux États-Unis l'occasion
d'intervenir. Dirigé par le secrétaire au Trésor américain,
Robert Rubin, le Fonds monétaire international (FMI) a dicté
une série de mesures destinées à "débarrer"
l'économie indonésienne. En substance, ces mesures visaient
à remplacer la domination de l'économie indonésienne
par Suharto et les cliques militaires par celle du marché mondial,
tel que conçu par les compagnies mondiales américaines.
Selon un ancien diplomate haut placé cité par l'Australian
Financial Review: "Ce qui a nous a conduit dans cette position
précise, a été la décision des États-Unis
d'endosser Robert Rubin, le secrétaire au Trésor américain,
qui voulait retirer son appui financier aux Indonésiens. Les États-Unis
ont décidé que l'Indonésie n'avait plus l'importance
stratégique qu'elle avait déjà eue, qu'il n'était
plus nécessaire de supporter Suharto, et qu'il était préférable
de voir un changement politique en Indonésie. Donc, lorsque la crise
asiatique a frappé, ils ont choisi les termes du FMI de telle façon
qu'il soit poussé dehors."
Avec l'affaiblissement du régime Suharto, le gouvernement portugais
a vu de nouvelles opportunités s'ouvrir à lui. En 1997, il
a commencé une campagne intensive aux Nations Unies, collaborant
avec les dirigeants des mouvements indépendantistes du Timor oriental,
pour ramener la question du Timor oriental à l'ordre du jour.
Reflet de la pression du Portugal et de l'Europe, les Nations Unies ont
nommé Jamsheed Marker comme envoyé spécial au Timor
oriental pour qu'il organise les pourparlers entre l'Indonésie et
le Portugal. En avril 1998, le régime Suharto semblant de plus en
plus affaibli, le Conseil national de la résistance du Timor (CNRT),
né d'un congrès au Portugal, unissait les deux organisations
rivales, le Fretilin et l'UDT, et donnait à Xanana Gusmao le titre
de "lider maximo" (dirigeant suprême).
Le régime indonésien craignait que les résolutions
de l'ONU, et la décision de la Cour internationale de 1995, ne fournisse
la base nécessaire à "un acte d'autodétermination",
possiblement un plébiscite, pour déterminer le statut futur
du territoire. En juin 1998, le régime Habibie, cherchant à
dévier ces pressions a accepté de donner au Timor oriental
un statut spécial d'autonomie élargie. En septembre 1998,
il signait un accord avec le Portugal pour commencer les négociations
sur cette proposition. Les deux pays se sont mis d'accord pour restaurer
les liens diplomatiques, ce qui a permis aux représentants portugais
de venir officiellement en Indonésie.
Les succès des portugais ont alerté Canberra. Le gouvernement
australien appréhendait qu'il ne soit exclu de la décision
que rendrait l'ONU sur l'avenir du Timor oriental, alors que son principal
rival dans la lutte pour le contrôle des ressources pétrolières
y jouerait le premier rôle. Alors que les initiatives portugaises
au sein de l'ONU pouvaient être ignorées sans crainte dans
les années 80, la situation n'était plus la même avec
la fin de la guerre froide et l'éviction de Suharto, son vieil allié.
Aussi, le gouvernement australien a-t-il décidé d'intervenir.
Le premier ministre John Howard a envoyé une lettre au président
indonésien, Habibie, le 23 décembre 1998 pour lui proposer
que l'Indonésie offre l'autonomie au Timor oriental, ce qui entraînerait
un vote pour l'indépendance quelques années plus tard. L'initiative
de Howard visait à court-circuiter les actions du gouvernement portugais:
d'un côté, il proposait une prolongation à la période
d'autonomie, possiblement pour aussi longtemps que dix ans, et de l'autre
il maintenait la collaboration avec l'Indonésie pour dominer le Timor
oriental.
Dans sa lettre Howard avait souligné "que depuis longtemps
l'Australie considérait comme dans le meilleur intérêt
de l'Australie, de l'Indonésie et du Timor oriental que le Timor
oriental soit une partie intégrante de l'Indonésie."
Aussi, il a proposé un accord semblable à l'accord de Matignon
développé par la France pour la colonie de Nouvelle-Calédonie,
qui permettait "qu'un compromis politique soit implanté en pratique
et de repousser un referendum sur le statut définitif de la Nouvelle-Calédonie
pour plusieurs années."
"Réussir à implanter notre vision de l'autonomie,
écrit Howard, avec un mécanisme intégré de révision
permettrait de gagner le temps nécessaire pour convaincre les Timorais
orientaux des avantages de l'autonomie au sein de la république indonésienne."
L'ultimatum de l'Indonésie
Le régime indonésien a surtout remarqué qu'Howard
proposait dans sa lettre une façon d'arriver éventuellement
à l'autodétermination. Il craignait qu'une période
d'autonomie, peu importe sa durée, n'entraîne nécessairement
un vote de sécession. Outré par le virage de son principal
allié des vingt-cinq dernières années de suppression
du peuple timorais, le régime Habibie a rejeté la proposition
de Howard. Habibie a augmenté les enchères, déclarant
en janvier 1999 que si l'offre de l'Indonésie d'une autonomie spéciale
pour le Timor oriental était rejetée, il soumettrait à
l'Assemblée Consultative Populaire une résolution pour permettre
la sécession du Timor oriental.
Ce qui semble être une volte-face d'Habibie était en fait
un ultimatum: si les puissances occidentales veulent pousser pour la sécession,
alors il soumettrait cette alternative immédiatement au vote de l'Assemblée,
alors que les militaires indonésiens sont toujours en contrôle
du Timor, prêts à mettre en oeuvre la politique de la terre
brûlée si jamais l'autonomie était rejetée.
À la suite de l'annonce par Habibie, l'Indonésie a continué
à négocier avec le Portugal à travers les Nations Unies,
ce qui mena à l'entente du 5 mai. Une "consultation populaire"
devait se tenir pour déterminer si le peuple timorais acceptait le
plan d'autonomie de l'Indonésie.
Le régime indonésien calculait qu'avec les militaires en
contrôle, le vote ne pourrait qu'être favorable à l'autonomie,
et alors, selon les termes de l'accord, "le gouvernement du Portugal
devait commencer les procédures nécessaires au sein des Nations
Unies pour que le Timor oriental soit retiré de la liste des territoires
sans gouvernement propre, liste dressée par l'Assemblée générale
de l'ONU, et le retrait de la question du Timor oriental de l'ordre du jour
du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale."
En d'autres mots, l'incorporation du Timor oriental par l'Indonésie
recevrait le sceau d'approbation officiel des Nations Unies.
Il est significatif que le peuple timorais n'était pas partie
prenante à l'accord qui a éventuellement mené au referendum
du 30 août. L'ONU a déterminé la façon dont la
consultation se tiendrait en s'arrangeant avec l'Indonésie et le
Portugal.
Tous les participants étaient au courant que dans le cas où
l'autonomie serait rejetée, les militaires indonésiens et
ses fiers-à-bras organisés en milice seraient lâchés
pour massacrer le peuple du Timor oriental.
Lorsqu'on lui demanda en janvier 1999 si un referendum entraînerait
la guerre civile, le ministre des affaires extérieures australien,
Alexander Downer a répondu: "S'il y avait un plébiscite
aujourd'hui, je crois que ça serait le cas, et c'est d'ailleurs le
point clé Si vous croyez que la solution au Timor oriental est de
tenir un referendum demain, tout ce que je peux dire, c'est que ça
amènerait plutôt du sang que des solutions."
En mars, des sources de l'agence d'espionnage australienne ont informé
le gouvernement que les militaires indonésiens organisaient les milices
et une campagne d'intimidation, mais Downer niait ces mêmes faits
publiquement. En juillet, le commandant des forces armées indonésiennes
à Dili disait: "J'aimerais vous communiquer ce qui suit : Si
les partisans de l'indépendance gagnaient tout sera détruit.
Et le Timor oriental ne sera pas comme vous le voyez aujourd'hui. Ce sera
pire qu'il y a 23 ans."
En dépit de ces avertissements, les Nations Unies, ainsi que les
gouvernements australien et portugais, ont fait pression pour que le referendum
aille de l'avant. Pour eux, la défaite de la proposition d'autonomie
par l'Indonésie (et la violence des militaires et des fiers-à-bras
que cela entraînerait) leur fournirait la base politique pour permettre
une intervention. Comme Howard l'a publiquement reconnu, la décision
que le gouvernement australien a prise en mars dernier d'augmenter la mobilisation
militaire au niveau le plus élevé depuis la guerre du Vietnam
a été le facteur clé qui a mené l'ONU à
choisir l'Australie comme dirigeant de l'opération de "maintien
de la paix".
Le rôle du CNRT
Les dirigeants nationalistes petits-bourgeois du CNRT ont aligné
leurs politiques sur celles de l'ONU et des puissances impérialistes.
Après s'être tout d'abord opposé à la tenue d'un
referendum, sachant ce que réservaient aux Timorais les militaires
indonésiens si ces derniers gardaient le contrôle, le CNRT
a fini par se ranger derrière l'ONU et son plan. Ils ont cru qu'ils
engendreraient ainsi les meilleures conditions pour exiger une intervention
militaire qui les installerait au pouvoir.
Le rôle joué par les dirigeants du CNRT, surtout par Xanana
Gusmao, a été crucial. Ils se sont opposés à
toute action de défense par le peuple timorais contre les attaques
des milices.
Après les accords du 5 mai, Gusmao a demandé que les jeunes
de Dili s'abstiennent de s'organiser contre les fiers-à-bras des
milices. Dénonçant l'organisation d'une manifestation comme
étant un manque "de vision politique aussi bien que de compréhension
de la situation", il a écrit dans une déclaration du
CNRT du 10 mai: "J'ai appris que les jeunes essaient de mobiliser la
population de Dili dans une manifestation de masse. Cela montre seulement
que ces jeunes n'ont aucun sens des responsabilités "
"Je veux rappeler à tous que la présence des Nations
Unies au Timor oriental ne signifie pas que la victoire nous appartient.
La tâche de l'ONU est d'organiser une consultation populaire le 8
août [ la date initialement prévue pour tenir le referendum].
Nous devons tous contribuer à ce processus, suivre les indications
de l'équipe de l'ONU. À cette fin, j'aimerais réitérer
mon appel pour que nous gardions tous notre calme. Je réitère
mon appel aux jeunes de Dili d'obéir aux ordres et leur demande d'agir
de façon responsable et avec discipline. Sans discipline, nous serons
faibles, et aussi longtemps que n'exigerons pas de discipline de nous-mêmes,
nous ne pourrons pas en exiger des autres. Nous devons toujours garder cela
à l'esprit."
Alors même que le massacre commençait, après que
les résultats du referendum aient été annoncés
le 4 septembre, une déclaration du CNRT insistait pour que les forces
de guérilla de Falintil n'entreprennent "aucune action qui pourrait
être interprétée comme le début d'une guerre
civile."
Gusmao et le CNRT s'inquiètaient que toute résistance puisse
être perçue par les médias occidentaux comme une guerre
civile, ce qui entraînerait les principales puissances à s'opposer
à l'intervention. Se basant sur l'effet du facteur CNN dans la guerre
contre la Serbie, ils ont conclu que plus il y aurait de massacres, le mieux
ce serait. Les meilleures conditions seraient donc créées
pour mobiliser "l'opinion publique" occidentale, et demander l'envoi
de troupes.
Les circonstances tragiques dans lesquelles se trouve aujourd'hui le
peuple du Timor oriental est le résultat des actions menées
par les puissances impérialistes (l'Australie, les États-Unis,
et le Portugal entre autres), aussi bien que les Nations Unies et les dirigeants
du CNRT.
La solution qu'ils proposent aujourd'hui, établir un protectorat
militaire de l'ONU, n'entraînera que la continuation des désastres
sous une autre forme. Ce n'est que lorsqu'un programme indépendant
sera développé, programme se basant sur la lutte unifiée
de la classe ouvrière de la région et internationalement,
que le cercle vicieux de la domination impérialiste pourra être
brisé.
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