Première année du World Socialist Web Site

Le World Socialist Web Site a été lancé le 14 février 1998 au milieu d’une crise politique grandissante au coeur du capitalisme mondial, les Etats-Unis. La campagne droitière pour le renversement du gouvernement Clinton avait éclaté sous la forme d’un scandale conduit par les médias et concernant Monica Lewinsky qui avait conduit à la mi-décembre à la procédure de destitution de Clinton. Dans le même temps, à l’autre bout du monde, l’un des plus anciens piliers de l’impérialisme américain s’effondrait avec la chute de la dictature Suharto en Indonésie.


La « crise de la destitution » de Clinton

Dès le début de la crise de la destitution de Clinton, le WSWS avait attiré l’attention sur les questions de classe sous-jacentes et les implications qu’avaient pour les droits démocratiques de la classe ouvrière les efforts entrepris par la droite en vue de paralyser ou de renverser le gouvernement Clinton. Signalant le recours répété aux scandales sexuels pour recentrer dans une direction réactionnaire la politique officielle en Amérique, le WSWS a expliqué que la question cruciale n’était pas les relations de Clinton et Lewinsky ou encore le mensonge du premier à ce sujet, mais le conflit au sein de l’élite dirigeante américaine et ce qu’il a révélé sur la crise et la décrépitude de la démocratie américaine. Le premier commentaire important publié après le lancement officiel du site le 14 février 1998 portait le titre « The social roots of the Clinton crisis » (« Les racines sociale de la crise de Clinton. »)

La première déclaration attribuait l’attaque lancée contre Clinton à la montée d’une élite financière parasitaire exigeant des coupes de plus en plus importantes dans les dépenses sociales et une affirmation de plus en agressive des intérêts stratégiques et économiques américains outre-mer et qui jugeait que les efforts entrepris par Clinton pour satisfaire leurs demandes étaient insuffisants.

Sur la base de cette analyse, le WSWS a développé une approche de principe à la crise Clinton en s’opposant à la campagne droitière en vue d’organiser un coup d’Etat politique contre un président deux fois élu tout en n’accordant aucun soutien politique au gouvernement Clinton ou au Parti démocrate. Le WSWS a exposé au grand jour les efforts entrepris par Clinton et le Parti démocrate pour gagner la faveur de l’extrême droite au moyen de provocations telles des frappes aériennes contre l’Irak et des tirs de missiles contre l’Afghanistan et le Soudan à la suite des attaques à la bombe d’ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. Des dizaines d’articles et de commentaires ont examiné le déroulement au jour le jour de la crise politique avec, pour les accompagner, d’importantes déclarations analysant les tournants les plus importants.

Dans l’article « La procédure de destitution du président Clinton – Les États-Unis dérivent-ils vers la guerre civile?, le WSWS avait formulé une mise en garde après la décision prise par les Républicains de mettre Clinton en accusation malgré le rejet exprimé à leur égard par les électeurs lors des élections au Congrès de novembre. Le WSWS a relevé la férocité inégalée de la guerre politique se déroulant à Washington en dépit de divergences politiques relativement insignifiantes entre le gouvernement droitier de Clinton et ses adversaires d’extrême droite. La déclaration précisait qu’en dernière analyse l’intensité du conflit devait refléter des tensions plus profondes au sein de la société américaine

La crise à Washington découle d'une complexe interaction entre des processus politiques, sociaux et économiques. La démocratie bourgeoise est en train de s'écrouler sous le poids accumulé de contradictions de plus en plus insolubles. Les processus économiques et technologiques associés à la mondialisation de l'économie ont miné les conditions sociales et les rapports de classe sur lesquels reposait pendant longtemps la stabilité politique des États-Unis. 

L'aspect le plus significatif de cette érosion est la prolétarisation de vastes couches de la société américaine, le déclin en taille et en influence économique des classes moyennes traditionnelles, et la croissance de l'inégalité sociale, reflétée dans une immense disparité au niveau de la distribution des richesses et des revenus. L'inégalité est plus grande aux États-Unis que dans n'importe quelle autre nation industrialisée, avec un fossé beaucoup plus large entre l'élite financière et le reste de la population qu'il y a 25, ou même 50 ans… 

Le degré sans précédent d'inégalité sociale introduit d'énormes tensions dans la société. Un vaste fossé sépare les riches de la majorité travailleuse, et c'est à peine s'il reste une classe moyenne pour faire le pont. Les couches intermédiaires qui servaient autrefois de tampon social, et de point d'appui à la démocratie bourgeoise, ne peuvent plus jouer ce rôle.

Cette différentiation sociale expliquait à la fois l’agressivité de la droite républicaine qui a procédé à la mise en accusation au mépris total de l’opinion publique et la prosternation du Parti démocrate qui avait depuis longtemps abandonné son programme libéral de réforme pour devenir le partenaire minoritaire de la réaction politique en refusant de lancer le moindre appel en faveur d’un soutien populaire lorsque son contrôle de la Maison Blanche était en péril.

A chaque étape, le WSWS avait fait apparaître au grand jour l’impotence et la couardise de Clinton et des Démocrates ainsi que l’incapacité et le manque de volonté de ce parti du grand capital de défendre les droits démocratiques des gens à l’encontre d’un assaut de l’extrême droite.

Tout au long de la crise, le WSWS a critiqué ces tendances pseudo-gauches qui ont écarté du revers de la main la crise politique à Washington comme étant insignifiante ou hors de propos en désarmant de ce fait la classe ouvrière face au danger grandissant pesant sur les droits démocratiques.

Parallèlement, le WSWS a maintenu une opposition intransigeante vis-à-vis actions du gouvernement Clinton en tant que direction de la nation impérialiste la plus puissante du monde. Nous dénonçons les frappes aériennes américaines contre l’Irak et autres actes d’agression ordonnés par la Maison Blanche comme l’indique la déclaration intitulée The bombing of Iraq, a shameful chapter in American history. » (Le bombardement de l’Irak, un chapitre honteux de l’histoire des Etats-Unis) publiée le 18 décembre 1998.


L’effondrement de la dictature Suharto en Indonésie

Les autres principaux développements politiques analysés sur le WSWS en 1998 sont le soulèvement survenu en Indonésie, la première importante conséquence politique de la crise financière qui avait éclaté en Asie en 1997 et qui avait produit d’autres chocs en Malaisie, en Corée du Sud, en Thaïlande et dans d’autres pays de la région.

Alors que les protestations populaires s’intensifiaient en Indonésie, le WSWS élaborait une perspective pour le mouvement de masse expliquant qu’une lutte victorieuse pour la démocratie et contre la dictature militaire n’était possible que sur la base de la mobilisation du prolétariat indonésien luttant sur la base d’une perspective socialiste.

Des commentaires tels que « Quelles classes sociales soutiennent la lutte pour la démocrratie en Indonésie ? » ou « The struggle for democracy in Indonesia, What are the social and political tasks facing the masses? » (La lutte pour la démocratie en Indonésie, quelles sont les tâches politiques devant les masses ?) ont avancé l’analyse effectuée pour la première fois par Léon Trotsky dans sa théorie de la Révolution permanente. Trotsky a démontré que dans les anciennes colonies opprimées de pays tels que l’Indonésie, la classe capitaliste nationale était incapable d’établir soit une démocratie soit une indépendance nationale authentique vis-à-vis de l’impérialisme. Seule la classe ouvrière en mobilisant derrière elle les ruraux pauvres et toutes les couches opprimées était capable d’accomplir ces tâches.

Le WSWS a expliqué le lien existant entre les événements en Indonésie et la crise des économies asiatiques de l’année précédente, qui avait commencé avec l’effondrement de la monnaie thaïe, le baht, progressant vers l’Asie du Sud-Est pour finalement affecter la Chine, la Corée et le Japon.

Plusieurs articles de Nick Beams, dont « Deflation, currency turmoil and production cuts: A sign of things to come » (Déflation, turbulences monétaires et coupes dans la production : une indication de choses à venir) et « One year since the start of the ‘Asian meltdown’: Growing signs of world slump » (Un an depuis le début de la ‘fusion nucléaire’ asiatique : signes croissants de récession mondiale), ont retracé le lien entre la crise financière qui a débuté en juillet 1997, les soulèvements politiques dans la région et les implications plus générales pour le capitalisme mondial et la politique mondiale. La conclusion tirée a été que des explosions politiques pourraient être anticipées non seulement dans les économies « émergentes » de l’Asie mais aussi dans les principaux centres du capitalisme mondial.


La détention de Pinochet et d’autres événements majeurs dans le monde

A la fin de l’année 1998, il y a eu la détention de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet en Angleterre ; il fut détenu en vertu d’un mandat d’arrêt signé par le juge espagnol enquêtant sur les crimes commis durant le règne de terreur de la junte militaire qui a duré dix-sept années. Des commentaires tels que « une réponse aux défenseurs de Pinochet » et « La signification de l’arrestation de Pinochet » (« An answer to Pinochet’s defenders » et « The significance of Pinochet’s arrest and the lessons of the 1973 coup ») exploraient les questions historiques contenues dans les événements chiliens et expliquaient pourquoi les dirigeants bourgeois, de Margaret Thatcher à Fidel Castro avaient tous défendu cet assassin de masse. Finalement, le gouvernement anglais travailliste du premier Ministre Tony Blair a bloqué son extradition et renvoyé Pinochet au Chili, où il jouissait de l’immunité et était protégé contre les poursuites.

D’autres événements majeurs dans le monde couverts par le WSWS ont été :

Le WSWS a couvert les plus importantes luttes du mouvement ouvrier international, parmi lesquelles une « vague de grèves locales dans les usines General Motors du Michigan », la grève d’Air France et le « lock-out de Patrick Stevedores » en Australie (lockout of Patrick stevedores), ainsi que des grèves chez « Bell Atlantic et d’autres travailleurs des télécommunications » aux Etats-Unis (Bell Atlantic and other telecommunications workers). Nos articles combinaient des reportages réalisés sur place et des interviews avec les grévistes et des avertissements sans complaisance quant au rôle joué par les syndicats dans le fait d’étrangler ces luttes et de subordonner les travailleurs à l’élite capitaliste dirigeante.


Une analyse marxiste approfondie des développements culturels et sociaux dans le monde

La première année du World Socialist Web Site a démontré depuis le tout début la conception intégrée qui a motivé la décision de lancer sa publication. Il ne s’agissait pas de commenter seulement un mouvement ouvrier selon une définition étroite (les syndicats et leur périphérie) ou même d’étendre cela à une sphère un peu plus large, mais de développer et d’élaborer une analyse marxiste de toutes les questions d’importance dans le domaine politique, social et culturel et qui comptent pour le développement d’une culture socialiste.

Cela se trouvait tout à fait dans la tradition développée par Lénine et le Parti bolchévique et expliqué dans son ouvrage précurseur, Que Faire, dans lequel il déclare que la tache de la direction marxiste de la classe ouvrière était d’aller dans toutes les classes et d’avancer un point de vue indépendant de la classe ouvrière sur toutes les questions ayant une vaste importance sociale.

Ainsi, pour donner quelques exemples peu nombreux, le World Socialist Web Site a couvert des questions sociales allant de l’ « inculpation pour meurtre en tant qu’un adulte, d’un jeune garçon de 12 ans au Michigan » (prosecution of a 12-year-old boy as an adult on murder charges in Michigan), au lynchage d’un noir pauvre, James Byrd (James Byrd), au Texas et d’un jeune homosexuel au Wyoming, Mathew Shepard, (Mathew Shepard), aux « attaques menées contre les droits démocratiques des réfugiés en Australie » (attacks on the democratic rights of refugees in Australia).

La première année du WSWS a aussi été marquée par une avancée majeure dans le domaine de l’esthétique marxiste surtout au niveau de la critique cinématographique. L’année commença avec une critique du film Titanic (a review of Titanic), un film dont les critiques de cinéma ont fait sans vergogne la louange et sans qu’il ne le méritât, et que David Walsh a décrit comme « du mauvais travail – un script faible, un jeu faible et une mise en scène faible. » La critique a donné le ton pour la couverture artistique du WSWS qui a été caractérisée par une défense inspirée de l’intégrité et du sérieux artistique.

Cela fut suivi par des critiques de films aussi variés que Wag the Dog, Amistad, Taste of Cherry, Bulworth, The Truman Show, Saving Private RyanPleasantville, Life Is Beautiful, etElizabeth, tout comme par la revue des festivals du film de Berlin, Sydney, San Francisco, Toronto et London. Il y eut des articles sur des expositions artistiques traitant des oeuvres de  Rodchenko et Max Ernst, entre autres.


Développements au sein du Comité International de la Quatrième internationale

En janvier 1998 peu avant le lancement du WSWS le Socialist Equality Party d’Australie organisa une université d’été internationale (International Summer School) la première d’une série de symposiums organisés par le Comité International de la Quatrième Internationale. Des conférences y furent données sur des questions fondamentales de l’histoire et de la théorie marxiste parmi lesquelles une conférence sur Léon Trotsky (Leon Trotsky), sur la signification de la mondialisation (globalization ), le castrisme et le nationalisme petit bourgeois, le rapport entre l’art et le socialisme (the relation of art and socialism) et la nature des syndicats

Le WSWS a fourni des reportages abondants sur le travail politique des sections du Comité International de la Quatrième Internationale, parmi lesquels des meetings commémoratifs (memorial meetings following the death of Jean Brust), membre fondateur de la Workers League, le prédécesseur du Socialist Equality Party aux Etats-Unis et qui avait rejoint le mouvement trotskyste dans les années 1930.

Il y eut la couverture des campagnes électorales des Partis socialistes de l’Egalité en Allemagne et au Sri Lanka. Dans ce dernier pays, le WSWS mena une campagne pour la libération de cinq membres du SEP (five members of the SEP ) qui avaient été détenus par le LTTE, le mouvement séparatiste tamoul qui menait à l’époque une guerre de guérilla contre le régime de Colombo.

Cette campagne a mobilisé du soutien autour du globe, en particulier dans la vaste diaspora tamoule, où il existait parmi beaucoup de personnes une compréhension de la lutte longue et principielle du SEP en défense des droits de la minorité tamoule. Finalement tous les cinq membres emprisonnés  furent libérés sans avoir subi de sévices – une démonstration de la force de cette campagne menée sur Internet même dans une île relativement petite et isolée.

Une déclaration publiée par le secrétaire national du SEP, Wije Dias, disait : 

Au nom de l’ensemble du SEP je tiens a dire que nous sommes profondément heureux du soutien apporté à notre campagne de défense de la part de la classe ouvrière et des organisations de défense des Droits humains et des individus concernés ici et en Europe, en Amérique du Nord, en Inde et en Australie.

Je remercie également le World Socialist Web Site et nos organisations sœurs dans le monde. Elles ont œuvré inlassablement pour attirer l’attention de la classe ouvrière internationale sur cette question et pour mobiliser le soutien de tous ceux qui s’engagent pour faire respecter les droits démocratiques. Et je voudrais remercier les nombreux partis de la classe ouvrière, les syndicats, les organisations humanitaires, les artistes et les intellectuels du Sri Lanka qui ont appelé à la libération des membres du SEP.


La défense de la vérité historique

Les réalisations du WSWS durant la première année de son existence s’appuyaient sur le fait qu’elles ont mobilisé le capital politique accumulé au cours de décennies de lutte pour les principes du trotskisme, contre le stalinisme, la social-démocratie, et les anciens adhérents de la Quatrième Internationale qui ont capitulé devant la force apparente de ces forces pro-capitalistes et contre-révolutionnaires durant les beaux jours du boom économique après la Deuxième Guerre mondiale.

Dans ce contexte, une des expériences les plus importantes faites par le WSWS fut la collaboration entre le Comité International et Vadim Rogovin, l’historien dont l’œuvre monumentale en six volumes sur l’opposition socialiste à Staline et concentrée sur le rôle central joué par Léon Trotsky, a définitivement établi qu’il avait existé une alternative aux crimes et aux trahisons de la bureaucratie stalinienne sous la forme de l’Opposition de Gauche et de la Quatrième Internationale.

Vadim Rogovin est mort en septembre 1998. Des meetings de commémoration furent tenus par les partisans du Comité International à Moscou, Berlin et Londres pour célébrer sa vie et s’engager à continuer son œuvre, au moyen de la traduction de ses ouvrages dans les principales langues pour les rendre accessibles à un auditoire mondial. David North, le président du Comité de rédaction du WSWS résuma l’importance de la vie et de l’œuvre de Rogovin lors de ces meetings en mémoire de Vadim Z. Rogovin « In memory of Vadim Z. Rogovin ».

Vadim Rogovin

Matériel mis en ligne :